Un
mardi pas comme les autres à Abbeville…
Elles
sont bien là. Six Déesses du Sport Automobile alignées
comme à la parade, plus magnifiques les unes que les autres.
De la plus méchante à la plus discrète, de
la plus sensuelle à la plus voluptueuse. Chacune a son charme,
aucune ne laisse indifférent. Un jury de Miss Belgique y
perdrait son latin! Elles sont encore bien silencieuses mais elles
ont toutes quelque chose à dire, haut et fort. Je les connaissais,
je les avais déjà vues, j’ai même pu en
tripoter une, mais je n’ai pu m’empêcher de sourire
bêtement en les voyant, façon Loup de Tex Avery…
10h
du matin. Le quiétude du circuit d’Abbeville est brutalement
rompue par le craquement des échappements de la Porsche 911R.
Comme dit si bien le propriétaire de la voiture en souriant:
« on n’attend pas un si gros bruit d’une si
petite auto ». C’est tout à fait vrai. La
911R ne fait pas dans l’esbroufe: pas d’ailes larges,
pas de prises d’air ostentatoire, pas de décoration
tapageuse, des fins pneus d’une autre époque, une garde
au sol respectable et une ligne d’une sublime simplicité.
Bref, pour l’amateur de voitures anciennes, rien de bien spectaculaire
tant elle se confond presque avec une simple 911S.
Et
pourtant… Des poignées de porte en plastique jusqu’à
la trappe de remplissage d’huile dans l’aile arrière
droite, en passant par le capot arrière basculant à
180° et les ailes en polyester affublées de clignotants
de NSU, la R regorge de spécificités. Le moteur commence
à chauffer, le ralenti se fait plus stable. A chaque coup
de gaz, le six cylindres 2.0 litres de 210cv répond instantanément
et impose le respect, car bien que couvrant la parole, le bruit
est délicieux.
Le petit groupe de passionnés présents savoure l’instant.
L’auto
s’élance pour quelques tours de pistes, suivie par
une 911 2.5 ST aux couleurs Gulf tout aussi superbe. Le circuit
est désert, nous sommes seuls, la magie opère. Chacun
se tait et écoute ces deux danseuses évoluer, tantôt
en travers, tantôt en pleine accélération ou
rétrogradant au talon-pointe, déchirant la tranquillité
des lieux à grands coups d’échappement. A noter
que toutes ces autos roulent, et même fort, mais sont dans
un état incroyable.
La brosse à dents est fournie d’origine?
A
peine rentré aux paddocks, le propriétaire s’engouffre
dans une 3.0 RS, précédant une 2.8 RSR menée
de mains de maître par un jeune pilote du BTCS. On change
de registre, les autos se font un peu plus efficaces mais dans un
style différent: toujours en glisse, mais autant la 2.8 RSR
signale comme il se doit que ses 270cv s’échappent
par deux gros cornets bien libres, autant la 3.0 RS émet
un feulement parfait, aussi discret –tout est relatif- qu’envoûtant.
Entre Metallica et Black Sabbath, mon cœur balance. Les deux
voitures effectuent un balai parfait, jouant au chat et à
la souris à longueur de tours.
La
journée aurait pu se terminer comme ça que j’en
eus été pleinement satisfait. Mais il manque la plus
méchante, le Mike Tyson de la 911 atmosphérique :
la 3.0 RSR. Comme pour les autres, on fait tout d’abord tourner
le moteur une dizaine de secondes sans allumage, par deux fois,
pour amorcer la pression d’huile. Ensuite on injecte un peu
de mélange dans les cornets d’admission pour faciliter
le démarrage. Mise à feu. Le mécanicien tient
le ralenti à l’aide de la tringlerie, sous le capot.
A chaque coup de gaz, une épaisse fumée noire s’échappe
violemment des deux tromblons. Impossible de parler à son
voisin, mais les regards et les rires jaunes en disent longs. On
a envie de se boucher les oreilles, mais plutôt perdre quelques
cellules ciliées qu’une note de cet instant magique!
La
température monte, l’excitation aussi. On sent que
ce moulin est conçu pour ne fonctionner que bien chaud et
bien dans les tours. La belle blanche et rouge s’avance sur
la piste à allure modérée, puis de plus en
plus vite. La tonalité du moteur change doucement, il commence
à se réveiller et à tout donner. Après
une bonne vingtaine de tours avec un arrêt de vérification
au milieu, elle est prête et le propriétaire aussi.
Et là, surprise :
«
Nicolas, mets ton casque et monte! »
Fébrile, j’enfile mon intégral (avec les oreilles
bien repliées en quatre à l’intérieur),
j’ouvre la porte et j’enjambe l’arceau. Drôle
de sensation que de se retrouver à la place du passager dans
une machine conçue pour être conduite en solo. Le mécanicien
sangle les 6 points du harnais, en évitant soigneusement
mes organes reproducteurs (j’en ai encore besoin!) et je m’isole
dans ce cockpit. A part quelques détails que seuls les spécialistes
décèleront, l’habitacle ressemble quand même
beaucoup à une 911 de l’époque.
Pas le temps de s’extasier devant les manomètres, l’auto
fait à peine quelques mètres que le pilote met plein
gaz. Les trois premiers rapports frôlent la zone rouge et
s’enchaînent le temps de le dire, je suis vraiment collé
au siège. J’ai déjà roulé dans
une M6 produisant 200cv de plus, mais ça n’a rien à
voir: la RSR pèse presque la moitié de la BMW…
Ici, le moteur n’est pas fait pour flâner sur un filet
de gaz ou vaincre les bouchons de la capitale. Comme diraient les
Tontons Flingueurs, c’est du brutal. J’avoue que la
poussée m’a paru très violente, mais il faut
préciser que je ne m’attendais pas à ce que
le pilote soude directement dès la voie des stands!
Parlons-en
du pilote, justement. On peut dire que ce monsieur a sa voiture
en main et qu’il possède un sacré coup de volant.
Faire une petite dizaine de tours du circuit d’Abbeville tout
en glissade, c’est quelque chose. On sent que cette 911 date
d’une autre époque, d’un temps où l’efficacité
passait par la glisse et non le grip. Nonobstant
que ce soit une auto de piste et non de rallye, elle est à
l’aise partout. Il faut la placer bien sur les freins –
et des étriers de 917, ça pince -, faire pivoter les
énormes pneus arrière et profiter de la puissance
bien haute dans les tours pour entretenir la glisse. Brutal, mais
jouissif. C’est une vraie auto de course, et ça se
sent: interdiction de s’endormir! Je réalise soudain
à quel point je suis privilégié: la plupart
des RSR restantes sont monoplaces, ne roulent qu’en compétition
et surtout pas en glisse! Le pilote rentre aux stands en sueur et
me dit: « je n’aurais rien pu donner de plus! ».
Pas la peine, c’était parfait !
J’en
oublierais presque de vous parler de la SC/RS, tant elle paraît
modeste à côté de tous ces monstres. Il faut
dire que le badaud la confondrait avec une 3,2. Le jeu des 7 erreurs
prend tout son sens! Ceci dit, une fois sur la piste, c’est
une auto de rallye et ça se voit. Elle glisse à la
demande, longuement et proprement, mais discrètement, échappement
route oblige. Le propriétaire a également fait quelques
tours avec sa Lotus 2-Eleven, magnifique engin que j’ai pu
essayer en passager ici-même avec un pilote d’usine
et à Zolder. 255cv pour 745kg, c’est un poil mieux
que la 3.0 RSR. C’est ultra efficace, le compresseur apporte
couple et linéarité, le grip est impressionnant (mon
cou se rappelle douloureusement du double droite de Zolder…),
ça peut glisser comme chasser le chrono... mais qu’est-ce
que c’est fade!
Je l’adore, mais quand on a goûté à un
monstre de RSR… Merci monsieur. Mais maintenant je n’arrive
plus à dormir! ;)
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